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Gestion environnementale des carrières au Maroc : Protéger la biodiversité par des mesures de mitigation
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Le Royaume du Maroc, pays privilégié à la croisée des influences méditerranéennes et sahariennes, recèle une biodiversité d'une richesse remarquable. Cependant, les ressources naturelles marocaines se trouvent aujourd'hui soumises à de fortes pressions anthropiques, menaçant ce précieux patrimoine écologique. Parmi les facteurs de dégradation, l'exploitation des carrières pour l'extraction de matériaux représente une source de perturbation majeure des écosystèmes. La gestion environnementale des carrières au Maroc est donc un enjeu crucial. Le présent article vise à examiner les impacts spécifiques de ces activités extractives sur la biodiversité au Maroc, mais aussi à mettre en lumière leur potentiel inattendu à accueillir de nouvelles communautés biologiques après leur abandon. Enfin, nous proposons des pistes de réflexion sur les mesures de mitigation envisageables pour une gestion durable de ces sites.
Impacts des carrières sur la biodiversité marocaine
De par leur nature même, les activités d'extraction dans les carrières causent inévitablement des dommages considérables aux écosystèmes naturels préexistants. Le décapage des terres et l'exploitation des matériaux entraînent une perte directe d'habitats naturels sur les surfaces exploitées. Cette destruction d'habitats se double d'un effet de fragmentation des écosystèmes environnants, perturbant les continuités écologiques. Ces perturbations ont pour conséquence un appauvrissement notable de la biodiversité locale.
Au Maroc, pays semi-aride sur une large portion de son territoire, la surexploitation des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables constitue l'une des principales menaces pesant sur les écosystèmes fragiles. L'extraction de matériaux dans les carrières participe à cette pression en détruisant et dégradant les habitats naturels sur leurs emprises. Les écosystèmes particulièrement vulnérables comme les zones montagneuses abritant une biodiversité unique sont donc menacés par ces activités extractives.
De plus, au-delà de la simple emprise au sol, les nuisances générées par l'exploitation des carrières comme le bruit, les vibrations, la poussière et les émanations de polluants chimiques affectent les espèces sur des zones bien plus vastes aux alentours des sites. Ces perturbations dégradent la qualité des habitats résiduels et peuvent impacter les cycles biologiques des espèces les plus sensibles, comme la reproduction ou les migrations d'oiseaux par exemple.
Potentiel écologique des carrières abandonnées
Bien que les carrières en activité aient un impact négatif indéniable sur la biodiversité pendant leur phase d'exploitation, il a été démontré que ces milieux dégradés peuvent parfois, après leur abandon, développer une nouvelle biodiversité surprenante. Une étude menée dans la plaine steppique de la Crau, en France, a révélé que d'anciennes carrières alluvionnaires sèches laissées à l'abandon depuis 30 à 40 ans abritaient des mosaïques d'habitats néoformés totalement inédits.
Ces nouveaux milieux artificiels caractérisés par une diversité de conditions écologiques allant des milieux très secs aux zones temporairement humides, ont permis l'établissement de communautés faunistiques et floristiques originales et variées. Au total, 22 espèces végétales d'intérêt patrimonial y ont été recensées, ainsi que de nombreuses espèces animales exploitant ces habitats comme lieux de reproduction, d'alimentation ou comme refuges.
Bien que différente des écosystèmes naturels initiaux, cette biodiversité qualifiée de "néoformée" contribue donc positivement à la diversité biologique globale à l'échelle régionale. Un tel potentiel pourrait exister pour certaines carrières abandonnées au Maroc, situées par exemple dans des contextes biogéographiques similaires.
Des zones d'extraction aujourd'hui à l'arrêt comme les anciennes carrières de calcaire de la région d'Oujda, les carrières de marbre du Haut Atlas ou encore certaines gravières alluvionnaires autour de Marrakech, pourraient ainsi possiblement constituer des refuges inattendus pour certaines espèces menacées localement.
Cependant, ces développements inattendus d'une nouvelle biodiversité ne doivent pas occulter le fait que l'activité extractive demeure globalement une source de perturbation majeure et de perte nette d'habitats naturels pour la biodiversité pendant la phase d'exploitation. Une gestion durable et responsable de ces sites est donc essentielle.
Stratégies de gestion environnementale des carrières au Maroc
La gestion des carrières abandonnées pose un véritable dilemme aux autorités et aux gestionnaires de l'environnement. D'un côté, l'option de chercher à restaurer activement ces sites vers un état se rapprochant des conditions écologiques initiales présenterait l'avantage de recréer un écosystème analogue à celui présent avant exploitation. Mais d'un autre côté, une telle démarche de réhabilitation impliquerait de détruire les nouveaux habitats formés lors de l'abandon spontané et la biodiversité associée qui s'y est développée.
L'alternative serait alors d'adopter une approche de gestion plus passive, avec un niveau d'intervention humaine minimale, et de laisser libre cours à la régénération naturelle spontanée sur ces sites perturbés. Bien qu'à contre-courant des stratégies de restauration classiques, cette option pourrait dans certains cas s'avérer plus bénéfique pour la biodiversité à long terme, comme en témoigne l'exemple positif des carrières de la Crau.
Néanmoins, un simple laisser-aller sans aucun suivi ni encadrement rigoureux n'est pas envisageable non plus. En particulier, des mesures devront être prises pour contrôler l'éventuelle prolifération d'espèces végétales ou animales exotiques envahissantes, qui pourraient à terme déséquilibrer ces nouveaux écosystèmes en formation et menacer leur pérennité.
Au Maroc, le développement de stratégies efficaces de gestion durable des ressources naturelles comme les carrières s'inscrit dans une problématique plus large de conciliation des enjeux environnementaux, économiques et sociaux sur le long terme. L'élaboration de politiques cohérentes dans ce domaine nécessite d'articuler différentes échelles spatiales et temporelles, du local au national.
Une véritable approche intégrée et participative, où l'ensemble des acteurs concernés (autorités publiques, exploitants de carrières, professionnels de l'environnement, ONG, populations locales, etc.) serait impliqué dès l'amont, est indispensable. Seule une telle démarche pourra permettre de prendre en compte l'ensemble des paramètres pour définir au cas par cas les modes de réaménagement et de gestion les mieux adaptés selon les spécificités des sites et des enjeux locaux de biodiversité.
Perspectives
Cette étude illustre la complexité des interactions entre l'exploitation des carrières et la préservation de la biodiversité au Maroc. Si ces activités extractives demeurent incontestablement une source de perturbation majeure des écosystèmes naturels pendant leur phase d'exploitation, les carrières abandonnées peuvent paradoxalement, dans certaines conditions, jouer un rôle positif en constituant des refuges inattendus pour diverses espèces végétales et animales.
Une gestion avisée et raisonnée de ces anciens sites industriels dégradés représente donc un enjeu environnemental d'importance. Elle est essentielle, tant pour optimiser leurs potentiels bénéfices écologiques à long terme en favorisant les processus de recolonisation naturelle lorsque cela s'avère pertinent, que pour maîtriser les risques de dérives comme la prolifération d'espèces envahissantes indésirables.
Dans cette optique, l'adoption de stratégies de gestion souples et adaptées au cas par cas apparaît comme la meilleure option. Un suivi rigoureux par des experts, ainsi qu'une réelle démarche participative impliquant tous les acteurs concernés, sont primordiaux pour définir les orientations les plus judicieuses selon le contexte de chaque site et les enjeux locaux de préservation de la biodiversité exceptionnelle du Maroc.